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06/03/2012

Réflexions sur la sureté des installations

 

 

Cette note est parue dans la Tribune de la Revue Défense Nationale

 

 

Réflexions sur la sureté des installations

 

Le risque zéro n’existe pas

 

Le risque zéro n’existe pas, toute activité humaine comporte un risque d’accident plus ou moins grave, plus ou moins probable. En fait consciemment ou pas, on évalue le risque qu’on court, on cherche à le minimiser au maximum et si le risque résiduel paraît être inférieur en valeur au bénéfice retiré d’une activité, on l’accepte.

Cette analyse est effectuée pour toutes les activités professionnelles ou récréatives ou dans la vie courante. Quoiqu’on fasse on prend un risque.

Il en est de même pour toute réalisation humaine, un pont est calculé pour supporter le trafic pour lequel il est prévu, un avion pour voler dans de bonnes conditions de sécurité quelle que soit la météo, de même un bateau pour résister à la tempête.

La démarche est toujours la même : déterminer  les accidents possibles et leurs conséquences, évaluer la probabilité pour chacun d’arriver, réduire si possible cette probabilité, décider si la probabilité résiduelle est suffisamment faible pour qu’elle soit acceptable.

 

Sureté d’une installation.

Toute construction, toute réalisation devrait faire l’objet d’une étude de sureté, lorsque on construit une maison les règles de l’art des différents corps de métier, les normes de réalisation, peuvent suffire mais, comme on a pu le constater, les plans locaux d’urbanisme (PLU) doivent tenir compte des risques d’inondation soit par débordement de la rivière, soit par rupture de digues soit par ruissellement. Ils doivent faire l’objet d’études tenant compte du relief, de la mémoire d’inondations précédentes, de la connaissance du climat, voire de l’activité sismique. A l’évidence les intérêts en jeu font que des risques excessifs sont souvent acceptés. On construit sans précaution dans des zones où on n’aurait jamais du construire alors que le risque était ou aurait du être connu.

Certains accidents montrent qu’aucune étude de risque n’avait été faite, c’est souvent le cas dans des pays sous développés en particulier pour des usines de produits chimiques, par exemple à Bhopal (2500 morts) ou à Mexico (500 morts). On avait laissé croitre des villes autour d’usines chimiques augmentant peu à peu les conséquences d’un accident.

Ce fut aussi le cas à Toulouse pour l’usine AZF ; initialement construite à l’écart de la ville en 1921, elle a été progressivement englobée par l’agglomération. Le 21 septembre 2001 un stock de 300 tonnes de nitrate d’ammonium déclassé explosait entrainant la mort de 30 personnes et des destructions importantes dans la partie sud-ouest de la ville. Le tribunal a rendu un jugement de relaxe générale : pas de coupable et pourtant !

Le nitrate d’ammonium est un explosif et un engrais. S’il est considéré comme explosif on le stocke dans des emprises entourées d’un périmètre d’isolement définitivement inconstructible. On répartit le stock dans plusieurs enceintes entourées de merlons pour protéger l’environnement et construites de façon que le souffle de l’explosion s’évacue vers le haut.

Si c’est un engrais on l’entasse en grande quantité dans des hangars librement accessibles et un jour il y a une catastrophe. Et des catastrophes provoquées par le nitrate d’ammonium, il y en a eu : 1921 Oppau Allemagne : 450 morts, 1947 Brest explosion du Ocean Liberty 29 morts, 1951 Texas City explosion du Grandcamp, et ce n’est qu’un échantillonnage.

On n’a jamais expliqué la cause de l’explosion d‘AZF mais ce n’est pas le problème : si on avait fait une étude de sureté on n’aurait jamais stocké le nitrate en pleine ville sans gardiennage. Les coupables, c’est le directeur de l’usine qui a pris des risques non évalués, c’est le maire qui a laissé construire près de l’usine, c’est l’Etat qui a laissé faire. Les causes n’ont aucune importance car si le nitrate avait été stocké correctement, son explosion, si elle avait eu lieu, n’aurait pas eu de conséquence grave.

Comment expliquer qu’un même produit, explosif, soit stocké dans des installations adaptées, engrais soit stocké n’importe comment. Dans un cas il y  a eu étude de sureté dans l’autre non.

 

Notion de risque acceptable

La catastrophe de Fukushima vient de montrer qu’un accident que l’on croyait improbable et dont le risque comme tel avait été accepté, peut quand même se produire soit à la suite d’un scénario non envisagé soit tout simplement parce que le risque zéro n’existe pas.

L’importance du risque maximum auquel expose l’installation doit pouvoir être connue et jugée acceptable quelle que soit la probabilité d’occurrence. Il faut remarquer que celle ci peut avoir été gravement sous estimée en particulier si un scénario pouvant y conduire n’a pas été pris en compte. C’est ce qui s’est passé à Fukushima où l’ampleur du tsunami généré par le séisme avait été largement sous estimée. La centrale aurait correctement résisté au séisme mais le scénario de la submersion entrainant la perte de toute alimentation électrique n’avait pas été prévu.

Le risque d’un accident de l’ampleur de celui de Fukushima est il acceptable ? on peut le penser : il n’a pas entrainé de morts qui lui soit directement imputable, la dispersion de produits radioactifs dans l’atmosphère et dans l’océan se fera plus ou moins rapidement et entrainera au pire des limitations pour la pêche et l’aquaculture. La pollution de la zone à terre sera plus longue à se résorber, mais elle n’est pas énorme.

Si le risque d’occurrence est correctement calculé et conduit à une très faible probabilité, on peut admettre qu’un accident de cette ampleur est acceptable.

Par contre voici deux exemples de risque d’accidents dont on peut penser qu’ils ne le sont pas:

Le premier est offert par le réacteur rapide Superphénix qui a été arrêté en 1998 après onze ans de fonctionnement plus ou moins erratique. Les défenseurs de cette filière expliqueront que les probabilités d’accidents sont inférieures à celles des réacteurs à eau sous pression. Peut être mais qui peut définir ce qu’est l’accident maximum d’une machine qui contient cinq tonnes de plutonium, cinq mille tonnes de sodium liquide et de l’eau, alors que le sodium s’enflamme au contact de l’air, explose au contact de l’eau et qu’une excursion de criticité n’est pas impossible en cas d’accident ? De nombreuses installations refroidies au sodium liquide ont mal fini.

Il faut ajouter que ce réacteur devait produire des tonnes de plutonium de qualité militaire à la suite de manipulations complexes rendant difficile la connaissance exacte de la quantité de plutonium produite. Le risque de prolifération était considérable.

Dans ces conditions même avec une probabilité d’accident très faible, le risque était il acceptable ?

L’autre exemple est la construction prévue d’un centre d’enfouissement des déchets de haute activité à Bure dans la Haute Saône. L’emplacement est très favorable, il s’agit d’une couche d’argile très peu perméable à l’eau, mais qui peut affirmer qu’il n’y a pas la moindre faille, maintenant ou après un mouvement sismique plus ou moins lointain. La zone regroupe 2 ou 3 millions d’habitants dans un rayon de 100km et englobe Vittel et Contrexéville. Peut on accepter le risque même infime sur des milliers d’années, de la pollution de la circulation d’eau ?

En l’occurrence les seuls endroits acceptables pour ce genre de stockage sont les déserts, en étant sûr qu’ils le restent, ce qui, sur une longue période n’est pas évident. La France dispose d’un désert océanique en Polynésie ; l’atoll de Mururoa où ont été effectués les essais nucléaires souterrains est déjà un dépôt de fait. Pourquoi ne pas étudier la possibilité d’y stocker nos déchets ultimes même si les conditions de stockage sont moins favorables qu’à Bure : il n’y a personne dans un rayon de 100km et l’océan assurera la dispersion en cas de fuite éventuelle à travers le basalte de l’atoll.

Le risque est acceptable en fonction de la population qui lui est soumise : un risque acceptable en Polynésie ne l’est pas, même moins probable, dans une zone très habitée.

 

Démarche pour réaliser l’étude de sureté.

L’accident de Fukushima a provoqué en France des réactions paranoïaques largement exploitées par les opposants systématiques au nucléaire : on a imaginé un tsunami au Blayais, un séisme de magnitude 9 à Fessenheim, toutes choses parfaitement déraisonnables. Certes les menaces à Fukushima avaient été largement sous-estimées et on avait en mémoire des tsunamis d’une égale ampleur dont on n’avait pas tenu compte, mais personne ne s’est indigné de l’existence d’une ville et d’un port où il y a eu 20 000 morts et si on peut être certain que la centrale ne sera pas remise en service, on peut l’être aussi que la ville sera reconstruite au même endroit comme San Francisco fut reconstruit après le séisme de 1906 et comme il le sera après le prochain.

Il faut raison garder et s’il est normal de tirer les leçons de Fukushima pour vérifier que les centrales françaises offrent une sécurité suffisante vis à vis des risques réels et éventuellement l’améliorer, il n’y a pas lieu d’abandonner une source d’énergie où la France excelle, qui est quoiqu’on en dise économique et qui n’a provoqué à ce jour aucun accident grave. A contrario il faudrait continuer d’investir d’une façon continue dans cette filière pour compenser le vieillissement du parc actuel, sans attendre que plusieurs centrales soient en fin de vie, quitte à vendre du courant à bon prix à nos voisins qui viennent inconsidérément d’abandonner le nucléaire.

Ceci étant il faut assurer la sécurité de nos installations actuelles ou futures et les soumettre toutes à une étude de sureté.

Remarquons d’ailleurs qu’il conviendrait d’effectuer la même démarche, pour les barrages, les installations pétrolières ou chimiques. Un barrage est plus vulnérable au terrorisme et peut rompre comme à Malpasset provoquant un désastre en aval : 423 morts. La cause de la catastrophe : une série de failles sous le côté gauche du barrage, ni décelées, ni soupçonnées.

Les centrales nucléaires mais aussi les installations complexes présentant des risques pour l’environnement et les populations devraient au moment de leur conception être l’objet d’une étude de sureté. Ces études de caractère probabiliste envisagent tous les scénarios conduisant à un accident grave, pouvant avoir des conséquences à l’extérieur de l’installation. Combinant la probabilité connue ou estimée de défaillance des différents composants ou des erreurs humaines aux dispositifs prévus pour les pallier ou les contenir, elles conduisent à établir la probabilité d’occurrence d’un accident grave et estimer si le risque résiduel est acceptable.

Pour une centrale nucléaire à eau pressurisée, ce sera par exemple la rupture du circuit primaire confinant l’eau de refroidissement du cœur nucléaire, pouvant entrainer la fusion du cœur.

Ces études permettent de déterminer les points critiques et éventuellement conduisent à doubler certains équipements ou à faire appel à plusieurs sources d’alimentation électrique ou d’eau de refroidissement, et ainsi arriver à un risque considéré comme acceptable.

Les centrales nucléaires sont toutes l’objet de telles études ce qui n’est pas le cas d’autres installations complexes, plateformes pétrolières, usines chimiques, barrages.

Ces études doivent prendre en compte les risques propres aux installations elles mêmes, par exemple tous les réacteurs nucléaires du même type sont soumis aux mêmes risques, mais aussi les risques dus à l’environnement de chaque installation : crue exceptionnelle du fleuve assurant le refroidissement, rupture de digue ou de barrage en amont, tremblement de terre  et tsunami.

De ce point de vue il est bien évident que des centrales nucléaires installées en France, pays ou la sismicité est généralement modérée sont plus sures que les centrales japonaises ou même italiennes.

En France la sureté des installations nucléaires est suivie par l’Autorité de Sureté Nucléaire, organisme officiel et indépendant.

 

La production d’énergie doit être pensée rationnellement.

L’énergie nucléaire est actuellement diabolisée, la catastrophe de Fukushima étant exploitée abusivement : il faudrait « sortir du nucléaire » Déjà les pays voisins ont pris des décisions hâtives dont ils commencent à voir les conséquences. Il s’agit d’un choix de société, notre mode de vie est basé sur une forte consommation d’énergie, on peut vivre autrement, utiliser les transports en commun voire le vélo, renoncer aux voyages, éteindre les lumières des villes, se chauffer peu. Il est peu probable que beaucoup veulent cette régression. Actuellement beaucoup prônent les énergies renouvelables, fort bien mais qui sait que pour remplacer un seul réacteur nucléaire, il faut plusieurs milliers d’éoliennes, que l’énergie solaire est discontinue et fort couteuse et qu’en plus cela ne suffira pas, il faudra faire appel à des centrales thermiques brûlant du gaz et surtout du charbon voire du lignite.

Nous avons en France la chance d’avoir depuis trente ans développé une industrie nucléaire et construit des centrales qui sans accident grave nous fournissent 75% de notre électricité d’une façon continue et non polluante.

Nous proposons des réacteurs encore plus surs, plus chers bien sur mais bien moins que toutes les énergies de remplacement que l’on veut nous imposer.

Le démantèlement n’est pas un problème insoluble : une fois le combustible retiré on peut attendre très longtemps, certains réacteurs sont arrêtés depuis des décennies, qui cela préoccupe-t-il ? Le stockage des déchets ne présente pas non plus d’urgence et on trouvera forcément une solution, les volumes après retraitement ne sont pas énormes.

La France est un curieux pays : il y a peut être du gaz de schiste, il ne faut pas l’exploiter. Il y a peut être du pétrole au sud de Marseille, on va polluer la Méditerranée. Mais parallèlement on trouve l’essence à la pompe hors de prix, le gaz trop cher. On veut arrêter une centrale nucléaire, non parce qu’elle est hors d’usage ou dangereuse, mais parce qu’elle est la plus ancienne ; il y aura toujours une plus ancienne. Ou serions nous s’il y a 200 ans les écologistes de l’époque avaient refusé d’utiliser le charbon qui a permis notre développement industriel.

 

 

 

 

 

                                                                                                                                                         

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