10/07/2012
Syrie: Qu'allons nous faire dans cette galère
La semaine dernière s’est tenue à Paris la réunion des « Amis du peuple syrien », à laquelle assistaient une centaine de représentants de pays occidentaux et arabes. La Russie et la Chine étaient évidemment absentes.
"Bachar Al-Assad doit partir. C'est ce que veut son peuple. C'est l'intérêt de la Syrie, de ses voisins, et de tous ceux qui veulent la paix dans la région", a déclaré François Hollande, à l'ouverture de la réunion.
La France a l’évidence, souhaite pour Al-Assad le sort de Saddam Hussein et de Kadhafi. Mais si Al-Assad tombe qui le remplacera ? Le Conseil National Syrien (CNS) est complètement discrédité, les différents courants de l'opposition n'arrivant pas à s'unir. La place prédominante faite aux Frères musulmans au sein du CNS par l’AKP turc et le Département d’État américain a fini par exaspérer à peu près tout le monde. La conférence a décidé d’accroitre massivement l’aide à l’opposition, c’est à dire aux combattants.
Pour comprendre la situation en Syrie il faut savoir comment les Alaouites sont arrivés au pouvoir. Les minorités de Syrie – en particulier, les Alaouites qui sont en possession des appareils de contrainte de l’État – sont des minorités inquiètes pour leur survie qu’elles défendront par la violence. Faire sortir le président syrien du jeu peut à la rigueur avoir une portée symbolique mais ne changera rien au problème. Ce n’est pas lui qui est visé, ce n’est pas lui qui est en cause, c’est l’ensemble de sa communauté qui se montrera encore plus violente et agressive si elle perd ses repères et ses chefs.
Reprenons le texte d’une conférence prononcée récemment par Alain Chouet,ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, reconnu bien au delà de l'Hexagone pour son expertise du monde arabo-musulman.
« Tout comme son père, Bashar el-Assad n’est que la partie visible d’un iceberg communautaire complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui 2 millions d’Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d’une mainmise islamiste sur le pouvoir .
Les Alaouites sont une communauté sociale et religieuse persécutée depuis plus de mille ans. Issus au Xeme siècle aux frontières de l’empire arabe et de l’empire byzantin d’une lointaine scission du chiisme, ils pratiquent une sorte de syncrétisme mystique compliqué entre des éléments du chiisme, des éléments de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de christianisme byzantin. Ils se désignent eux mêmes sous le nom d’Alaouites – c’est à dire de partisans d'Ali, le gendre du prophète - quand ils veulent qu’on les prenne pour des Musulmans et sous le nom de Nosaïris – du nom de Ibn Nosaïr, le mystique chiite qui a fondé leur courant – quand ils veulent se distinguer des Musulmans. Et – de fait – ils sont aussi éloignés de l’Islam que peuvent l’être les chamanistes de Sibérie.
Les Alaouites sont considérés par l’Islam sunnite comme les pires des apostats. Cela leur a valu au XIVè siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Bien que Ibn Taymiyyah soit considéré comme un exégète non autorisé, sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Pourchassés et persécutés, les Alaouites ont dû se réfugier dans les montagnes côtières arides entre le Liban et l’actuelle Turquie tout en donnant à leurs croyances un côté hermétique et ésotérique, s’autorisant la dissimulation et le mensonge pour échapper à leur tortionnaires.
Il leur a fallu attendre le milieu du XXè siècle pour prendre leur revanche. Soumis aux occupations militaires étrangères depuis des siècles, les bourgeois musulmans sunnites de Syrie ont commis l’erreur classique des parvenus lors de l’indépendance de leur pays en 1943. Considérant que le métier des armes était peu rémunérateur et que l’institution militaire n’était qu’un médiocre instrument de promotion sociale, ils n’ont pas voulu y envoyer leurs fils. Résultat : ils ont laissé l’encadrement de l’armée de leur tout jeune pays aux pauvres, c’est à dire les minorités : Chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites et surtout Alaouites. Et quand vous donnez le contrôle des armes aux pauvres et aux persécutés, vous prenez le risque à peu près certain qu’ils s’en servent pour voler les riches et se venger d’eux. C’est bien ce qui s’est produit en Syrie à partir des années 60.
Dans les années 70, Hafez el-Assad, issu d’une des plus modestes familles de la communauté alaouite, devenu chef de l’armée de l’air puis ministre de la défense, s’est emparé du pouvoir par la force pour assurer la revanche et la protection de la minorité à laquelle sa famille appartient et des minorités alliées – Chrétiens et Druzes - qui l’ont assisté dans sa marche au pouvoir. Ils s’est ensuite employé méthodiquement à assurer à ces minorités – et en particulier à la sienne - le contrôle de tous les leviers politiques, économiques et sociaux du pays selon des moyens et méthodes autoritaires.
Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son successeur se retrouve comme les Juifs en Israël, le dos à la mer avec le seul choix de vaincre ou mourir. Les Alaouites ont été rejoints dans leur résistance par les autres minorités religieuses de Syrie, Druzes, Chi’ites, Ismaéliens et surtout par les Chrétiens de toutes obédiences instruits du sort de leurs frères d’Irak et des Coptes d’Égypte.
Alors, proposer aux Alaouites et aux autres minorités non arabes ou non sunnites de Syrie d’accepter des réformes qui amèneraient les islamistes salafistes au pouvoir revient très exactement à proposer aux Afro-américains de revenir au statu quo antérieur à la guerre de sécession. Ils se battront, et avec sauvagerie, contre une telle perspective. »
On a fini par reconnaître qu’il ne s’agissait pas de manifestants pacifiques sévèrement réprimés mais d’une guerre civile et que l’Armée Syrienne menait donc en fait des opérations de maintien de l’ordre comme nous le fîmes en Algérie.
L’armée dans son ensemble montre son loyalisme hormis certaines défections montées en épingle comme celle du général Manaf Tlass, un sunnite, qu’on peut supposer avoir été largement sollicitée. Il avait été écarté, il y a plus d'un an de ses responsabilités, car jugé peu fiable, toute sa famille se trouverait déjà à l'étranger. Il est le beau frère d’Akram Ojjeh. L’insurrection est loin d’être générale, les minorités en particulier, nombreuses en Syrie craignent l’arrivée au pouvoir des islamistes. En Syrie les différentes communautés vivaient en paix sans qu’il y eût de tension religieuse, musulmans et chrétiens cohabitaient en bonne intelligence souvent dans le même quartier.
L’information diffusée en Occident n’est absolument pas crédible. La source de référence est l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), en fait un rédacteur syrien exilé à Londres et une traductrice. « Cet organisme est devenu la source quasi unique de l’information sur le terrain, reprise in extenso par l’Agence France-Presse (AFP) et les médias français ». Il est financé par les médias panarabes et est un instrument de propagande favorable aux frères musulmans. C’et à lui qu’on doit le décompte des victimes et l’attribution des massacres, souvent fort improbable. L’Arabie saoudite et le Qatar, via leurs chaînes de télévision par satellite, Al-Arabiya et Al-Jazira, diffusent aussi une information largement partisane.
L’Armée Syrienne Libre qui mène le combat contre l’armée syrienne, compterait à peu près 40 000 combattants dispersés à travers le pays, n’obéissant pas toujours à une chaine de commandement précise. On trouve de nombreux étrangers, des Libyens, des Libanais, des Qatari, des Saoudiens et même des Afghans, des Turcs et des Français. Nombreux sont les salafistes, les djihadistes et les membres d’ Al Quaida. Ils ont vu leurs moyens renforcés par des fournitures d’armes venues du Qatar, d’Arabie Saoudite via le Liban et la Turquie.
Les sanctions contre la Syrie, le renforcement des moyens de l’ASL finiront peut être par venir à bout de Al-Assad. Par qui sera-t-il remplacé ? On ne peut guère croire qu’à une prise de pouvoir par les islamistes, les frères musulmans étant les mieux structurés. Qu’y gagnerons nous ? La France n’a-t-elle pas d’autres affaires à régler que la situation en Syrie ?
« Que les monarchies réactionnaires défendent leurs intérêts et que les forces politiques fondamentalistes cherchent à s’emparer d’un pouvoir qu’elles guignent depuis près d’un siècle n’a rien de particulièrement surprenant. Plus étrange apparaît en revanche l’empressement des Occidentaux à favoriser partout les entreprises intégristes encore moins démocratiques que les dictatures auxquelles elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui leur résistent. Prompt à condamner l’islamisme chez lui, l’Occident se retrouve à en encourager les manœuvres dans le monde arabe et musulman. La France, qui n’a pas hésité à engager toute sa force militaire pour éliminer Kadhafi au profit des djihadistes et à appeler la communauté internationale à en faire autant avec Bashar el-Assad, assiste, l’arme au pied, au dépeçage du Mali par des hordes criminelles »
http://dejudasatartuffelettresaumonde.hautetfort.com/
16:22 Publié dans actualites, Blog | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : syrie, alaouites, islamistes
04/07/2012
Les Islamistes au Sahel
Il semble que la France obnubilée par la Syrie et sa volonté de voir al-Assad renversé, ne se préoccupe guère de la déstabilisation du Sahel et en particulier du Mali. Pourtant nous sommes historiquement impliqués dans cette zone où nous avons encore des intérêts.
Ca a commencé en janvier 2012, quand les Touaregs, retour de Libye où ils servaient Kadhafi, reviennent avec leurs armes et fondent le MNLA, mouvement national de libération de l’Azawad, la nation Touareg, culbutent l’armée malienne puis proclament l’indépendance de l’Azawad. C’est en fait une sécession du nord Mali, au nord du fleuve Niger.
Les islamistes d’Al Qaida et de ses diverticules régionaux se joignent au mouvement avec l’idée de créer un califat transnational. Ils sont aidés par un dissident touareg qui fonde le mouvement Ansar Dine constitué au départ par une fraction touareg ifora à laquelle se joignent des combattants islamistes arabes ou sahéliens. Ceux ci après s’être renforcés, chassent les Touaregs de la région du fleuve Niger. Les touaregs quittent Ansar Dine pour rejoindre le MNLA. Ansar Dine n’est donc plus un mouvement touareg, mais une milice islamiste.
Les Islamistes ont maintenant pris possession de Gao et de Tombouctou où ils imposent l’ordre islamique. Ils ne sont pas très nombreux, entre 300 et 500 mais puissamment armés et ils détiennent des otages européens et algériens.
Le MNLA a perdu son avantage des débuts, celui des stocks d'armes, ramenées de Libye au moment de la chute de leur employeur Mouammar Kadhafi. Hama Ag Sid'Hamed, porte-parole du conseil transitoire du MNLA, le reconnaît : « Nos hommes ont vendu leurs armes et leurs munitions au Mujao (Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest, autre groupe armé actif au nord du Mali). On leur disait : ne vendez pas, vous vous faites désarmer et, pire encore, ces armes seront bientôt retournées contre vous, comment expliquer ça à des gens qui n'ont rien. »
Le MNLA est à court de moyens financiers, contrairement aux mouvements islamistes dont les caisses ont été alimentées par les prises d'otages mais aussi par les trafics aux mains d'une « mafia » que n'effraient pas les relations avec les djihadistes.
La destruction systématique de mausolées à Tombouctou, qui indigne l’opinion publique, correspond à une vision fondamentaliste de l’Islam, assimilant le culte des saints locaux qui y sont enterrés à de l’idolâtrie. Le salafisme ne s'accommode pas des pratiques de l'islam de rite malékite en vigueur à Tombouctou.
Si nous ne faisons rien, il va se développer un califat fondamentaliste en zone sahélienne, débordant du Mali. Il faudrait aider les Touaregs dans leur combat contre les islamistes. Il faut aussi convaincre Bamako que le Mali unitaire a vécu et faire revenir les Touaregs sur leur déclaration unilatérale d’indépendance en échange d’une très forte décentralisation.
Mais il faudrait que les responsables politiques européens abandonnent des idées obsolètes comme celle de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation déjà mise à mal en Somalie, au Soudan et même aux Comores.
Sinon nous risquons de voir intervenir l’Algérie, qui se sent menacée à sa frontière sud, Alger négocie avec tous, y compris avec le Mujao qui détient, depuis le 5 avril, le consul d'Algérie et six de ses collaborateurs, enlevés à Gao.
Or, si Alger, seule puissance régionale militaire, qui avait parrainé les accords entre les rebelles touaregs et le pouvoir central de Bamako en 2006, maintient coûte que coûte sa ligne pour une "solution politique négociée" et réfute toute idée d'intervention, des généraux militent désormais en coulisses pour une option militaire
NB Cette note est basée sur l’analyse de Bernard Lugan dans l’Afrique Réelle.
http://dejudasatartuffelettresaumonde.hautetfort.com/
16:56 Publié dans actualites | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : mali, touaregs, islamistes, tombouctou